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« Que radotes-tu ? interrompit-elle en saisissant la main qu’il lui tendait ; elle ne la repoussait pas et la serrait dans ses mains dures et vigoureuses. Est-ce qu’un gentilhomme peut épouser une fille cosaque ? Va-t’en !

— M’épouseras-tu ? tout au monde…

— Et que ferons-nous de Loukachka ? » demanda-t-elle en riant.

Il dégagea la main qu’elle tenait et serra la jeune fille dans ses bras, mais elle se dégagea, sauta pieds nus à terre et s’enfuit comme une biche effarouchée. Olénine revint à lui avec effroi : il eut horreur de lui-même, mais n’eut pas l’ombre de repentir. Rentré chez lui, il ne jeta pas un regard aux Cosaques attablés, mais se coucha et s’endormit d’un profond sommeil, qu’il ne connaissait plus depuis longtemps.


XXXV


C’était fête le lendemain. La population de la stanitsa, en habits de gala brillants au soleil, était toute dans la rue. La vendange avait été abondante, les travaux étaient achevés, les Cosaques devaient bientôt se mettre en campagne ; il y avait noce dans plusieurs familles.

Le soir, la foule se pressait, principalement sur la place publique, autour des boutiques de friandises et de toiles imprimées. Les vieux Cosaques en cafetan gris et noir, sans ornements ni galons, restaient assis sur le remblai de la cabane de la direction et parlaient gravement entre eux de la récolte, des jeunes gens, des affaires militaires, du bon vieux temps, et regardaient avec calme et majesté la nouvelle génération.

Les femmes et les filles inclinaient la tête en passant devant eux ; les jeunes gens ralentissaient le pas et se découvraient, tenant leur bonnet levé au-dessus de leur tête.