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son cœur se souleva ; il lui semblait qu’il achetait quelqu’un, et il ne put répondre clairement au soldat, qui demandait quels pains d’épice il fallait acheter et combien.

« Achète comme tu l’entends, dit-il.

— Pour tout l’argent ? demanda le vieux soldat ; ceux à la menthe sont plus chers, soixante kopeks la livre.

— Pour tout l’argent, pour tout », répondit Olénine.

Il s’assit près de la fenêtre et s’étonnait de sentir son cœur battre à tout rompre, comme s’il allait commettre quelque grave ou mauvaise action.

Il entendit les cris et les éclats de voix provoqués par l’apparition de Béletsky parmi les jeunes filles ; au bout de quelques moments, il le vit ressortir et descendre en courant le petit perron, au milieu d’éclats de rire, de cris et de folâtres ébats.

« On m’a chassé », dit-il.

Un moment après, Oustinka entra et invita solennellement les jeunes gens à venir, disant que tout était prêt.

Quand ils entrèrent, Oustinka donnait un coup de main aux lits de plume le long du mur. La table était couverte d’une nappe beaucoup trop courte ; un flacon de vin et du poisson sec étaient servis. On sentait l’odeur de la pâte et du raisin. Les jeunes filles en jaquette élégante et tête nue, sans le mouchoir traditionnel, se serraient dans un coin derrière le poêle, chuchotant et ricanant.

« Je vous prie de faire honneur à mon ange gardien », dit Oustinka, engageant ses visiteurs à s’approcher de la table.

Olénine reconnut immédiatement Marianna au milieu de ces jeunes filles, qui pourtant étaient toutes jolies sans exception. Il se sentait mal à l’aise et se décida à imiter Béletsky. Celui-ci s’approcha gravement de la table, prit un verre d’un air assuré, but à la santé d’Oustinka et engagea les autres à suivre son exemple. Oustinka déclara que les filles ne prenaient pas de vin.