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Olénine ne répondit pas, il voulait achever d’exprimer sa pensée ; elle lui tenait à cœur.

« Je sais, continua-t-il, que je fais exception à la règle générale. (Il se troubla.) Mon existence s’est organisée de manière que je ne vois pas la nécessité de dévier de mes principes et que je ne puis pas agir autrement ; je ne pourrais pas être aussi heureux que je le suis maintenant, si je suivais votre exemple. Je demande aux femmes autre chose que vous. »

Béletsky leva les sourcils d’un air méfiant.

« C’est égal, venez ce soir ; Marianna y sera, je vous ferai faire connaissance. Venez, je vous prie ! Si vous ne vous plaisez pas, vous nous quitterez. Viendrez-vous ?

— Je voudrais, mais, pour parler avec franchise, je crains de me laisser entraîner sérieusement.

— Oh ! oh ! cria Béletsky, venez et soyez tranquille. Viendrez-vous ? Parole ?

— Je voudrais, mais… Que ferons-nous ? quel rôle allons-nous jouer ?

— Venez, je vous en supplie !

— Fort bien, il se peut que je vienne.

— Pensez donc, des femmes ravissantes, comme nulle part ailleurs : et vous vivez en moine ! Quelle idée de s’abîmer l’existence et de ne pas profiter de ce qui s’offre à vous ! Avez-vous entendu dire qu’on envoie notre compagnie à Vozdvijensky ?

— Ce n’est pas probable, dit Olénine, on m’a dit que c’est la 8e compagnie qu’on mobilise.

— Non, j’ai reçu une lettre de l’aide de camp ; il m’écrit que le prince fera la campagne. Je serai content de le revoir, je commençais à m’ennuyer ici.

— Il paraît que nous aurons une expédition.

— Je l’ignore, mais j’ai ouï dire que K… avait reçu la croix de Sainte-Anne pour la dernière campagne ; il espérait être avancé lieutenant, et le voilà fort désappointé, dit Béletsky en riant, il est allé à l’état-major. »