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garçon ; il l’était peut-être réellement, mais Olénine le trouva souverainement désagréable, malgré sa jolie figure franche et ouverte. Il apportait avec lui cette hideuse atmosphère qu’Olénine avait fuie. Ce qui le vexait le plus, c’est qu’il n’avait pas le courage de rebuter cet homme, comme si la société dont il venait et à laquelle Olénine avait appartenu conservait encore sur lui des droits incontestables. Il était furieux contre Béletsky, contre lui-même, et malgré cela il intercalait involontairement des mots français dans la conversation, feignait de s’intéresser au général en chef, à ses connaissances moscovites. Pourtant Olénine traita Béletsky en ami, promit d’aller le voir et l’invita chez lui. Et cependant il n’alla pas chez Béletsky. Celui-ci fit la conquête de Vania, qui disait de lui que c’était un vrai gentilhomme.

Béletsky se fit tout de suite à l’existence d’un officier riche : au bout d’un mois, on aurait pu croire qu’il avait passé sa vie au Caucase. Il faisait boire les vieux, donnait de petites fêtes, passait ses soirées chez les filles cosaques, se vantait de ses bonnes fortunes, de ses succès auprès des femmes et des jeunes filles, qui, on ne sait pourquoi, le surnommèrent diédouchka (grand-père). Les Cosaques trouvaient naturel qu’un jeune homme aimât les femmes et le vin ; ils le prirent en affection et le préféraient à Olénine, qui à leurs yeux était une énigme vivante.


XXIV


Il était cinq heures du matin, Vania chauffait le samovar sur le perron. Olénine était parti pour le Térek ; il se donnait le plaisir de baigner lui-même son cheval. La vieille Oulita était dans son garde-manger ; une fumée noire sortait de la cheminée qu’elle chauffait. Sa fille était dans l’étable à traire la bufflonne. « Veux-tu bien te tenir,