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Il faisait complètement nuit quand ils approchèrent, tout en causant, de la stanitsa. Ils n’avaient pas encore quitté la sombre forêt, le vent gémissait en s’engouffrant dans la cime des arbres, les chacals semblaient hurler, rire et pleurer tout près d’eux, mais ils entendaient déjà de loin des voix de femmes, l’aboiement des chiens, ils distinguaient le contour des cabanes, apercevaient des lumières et sentaient l’odeur du kiziak[1].

Olénine sentait ce soir plus distinctement que cette stanitsa était son véritable home, que là était sa famille, son bonheur, que nulle part ailleurs et jamais il ne serait aussi heureux. Il aimait tant tout le monde, et surtout Lucas. Ce soir-là, rentré dans son logement, il fit amener son cheval, acheté à Groznoï, pas celui qu’il montait, mais un autre, une bonne bête, mais très jeune, et, au grand étonnement de Lucas, il lui en fit cadeau.

« Pourquoi me donnez-vous ce cheval ? dit Lucas ; je ne vous ai rendu aucun service.

— Je t’assure qu’il ne me coûte rien, répondit Olénine ; prends-le, tu pourras me donner autre chose en échange… Nous ferons la campagne ensemble. »

Lucas se troubla.

« Que vous donnerai-je ? Un cheval coûte cher.

— Prends-le, prends-le ! Si tu ne l’acceptais pas, tu me ferais une insulte… Vania, remets-lui le cheval. »

Lucas prit la bride.

« Eh bien donc, merci ! vrai, je n’y avais jamais rêvé ! »

Olénine était heureux comme un enfant.

« Attache-le ici, c’est une bonne bête, je l’ai acheté à Groznoï. Vania, du vin ! Entrons. »

On apporta du vin, Lucas s’assit et prit la coupe.

« Je vous le revaudrai, avec la grâce de Dieu, dit-il, vidant son verre. Comment te nommes-tu ?

  1. Combustible qui se prépare avec le fumier des chèvres et des moutons.