— Vraiment ! pourquoi ne voudrais-tu pas être mon ordonnance ? » demanda Olénine, charmé de l’idée de donner un cheval à Lucas, mais un peu embarrassé, sans trop savoir pourquoi. Il cherchait ses paroles et ne les trouvait pas.
Lucas rompit le premier le silence.
« Avez-vous votre propre maison en Russie ? »
Olénine ne résista pas à l’attrait de raconter qu’il avait même plusieurs maisons.
« Et avez-vous des chevaux comme les nôtres ?
— J’en ai cent, à trois et quatre cents roubles par tête, mais pas comme les vôtres.
— Mais qu’êtes-vous donc alors venu faire ici ? est-ce malgré vous que vous êtes venu ? demanda Lucas avec une nuance d’ironie. Voilà où vous vous êtes trompé de chemin, ajouta-t-il en lui indiquant un sentier ; vous deviez prendre à droite.
— Je suis venu de plein gré, répondit Olénine, je voulais voir le pays, faire une campagne.
— Ah ! si je pouvais faire une campagne, dit Lucas. Entendez-vous hurler les chacals ? ajouta-t-il en prêtant l’oreille.
— N’as-tu aucun remords d’avoir tué un homme ? demanda Olénine.
— Pourquoi ? Ah ! si je pouvais faire une campagne ! répétait Lucas ; comme je le désirerais !
— Nous en ferons peut-être une ensemble ; notre compagnie se mettra en route avant les fêtes, et votre sotnia peut-être aussi.
— Quelle envie avez-vous eue de venir ici ? Vous avez votre maison, vos chevaux, probablement des serfs ? À votre place, je me serais joliment amusé, je n’aurais fait que cela. Quel grade avez-vous ?
— Je suis porte-enseigne et serai bientôt officier.
— L’existence est-elle agréable chez vous ?
— Très agréable », répondit Olénine.