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« Qui sait, ma cousine ? ce sera peut-être un nouveau Derjavine, » dit-il en me pinçant la joue. Il me fit tant de mal, que, si je n’avais pas deviné que c’était une caresse, j’aurais crié.

Les visites s’en allèrent, papa et Volodia sortirent du salon, il ne resta que le prince, grand’mère et moi.

Il y eut un instant de silence.

« Pourquoi notre chère Nathalie Nicolaïevna n’est-elle pas venue ? demanda tout à coup le prince Ivan Ivanovitch.

— Ah ! mon cher, répliqua grand’mère en baissant la voix et en posant la main sur la manche de son uniforme, elle serait probablement venue, si elle était libre de faire ce qu’elle veut. Elle m’écrit que Pierre lui avait offert de l’amener, mais qu’elle a refusé, parce qu’ils n’ont pas du tout de revenus cette année. Elle ajoute que, même sans cela, elle n’aurait pas voulu amener toute sa maison à Moscou cette année ; que Dioubotchka est encore trop petite et qu’elle est encore plus tranquille pour les garçons, les sachant chez moi, que s’ils étaient avec elle… Tout cela est très beau, continua grand’mère d’un ton qui montrait clairement qu’elle ne trouvait pas du tout cela beau. Il était grand temps d’envoyer les garçons ici pour qu’ils apprennent quelque chose et qu’ils s’habituent au monde, Quelle éducation pouvait-on leur donner à la campagne ?… L’aîné va avoir treize ans et l’autre onze. Vous avez dû remarquer, mon cousin, que ce sont de vrais petits sauvages…. Ils ne savent pas entrer dans la chambre.

— Je ne comprends pas, répondit le prince, ces plaintes perpétuelles sur leurs affaires. Lui a une très belle fortune. Nathalie a Khabarovka, — nous y avons joué la comédie ensemble, dans le temps, — je le connais comme ma poche, et c’est un bien magnifique ! qui doit toujours donner de très beaux revenus.

— Je vous dirai entre nous, comme à un vrai ami, interrompit grand’mère avec une expression de tristesse, que