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Grand’mère ne répondit rien. Elle considérait d’un air absorbé le portrait de maman, sur la tabatière d’écaille.

« Son Excellence ordonne-t-elle de faire entrer ? » demanda le laquais.


XIII

LES VISITES


« Fais entrer, » dit grand’mère en se renfonçant dans son voltaire.

La princesse Kornakof était une femme de quarante-cinq ans, petite, maigrelette et jaune, avec des cheveux et des sourcils rouges et de petits yeux verdâtres, dont l’expression contrastait avec la grimace en cœur de sa bouche. Elle parlait beaucoup, et toujours comme si on la contredisait, même quand personne n’avait rien dit.

Elle eut beau baiser la main de grand’mère et lui répéter à toute minute : « Ma bonne tante, » je remarquai que grand’mère avait quelque chose contre elle et levait ses sourcils d’un air singulier en écoutant l’histoire du prince Michel, qui aurait tant voulu accompagner sa femme et qui n’avait pas pu.

« Je sais qu’il a toujours une masse d’affaires, et puis, quel plaisir aurait-il à voir une vieille femme ? » dit grand’mère, et, sans laisser à la princesse le temps de répondre, elle continua :

« Comment vont vos enfants, ma chère ?

— Ils grandissent, ma tante, ils travaillent, ils deviennent polissons… »

Ma grand’mère, que les enfants de la princesse n’intéressaient pas du tout et qui avait envie de faire briller ses petits-enfants, tira avec précaution mes vers de dessous la boîte et déplia le papier. La princesse se tourna vers papa :