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« Que Dieu lui donne le bonheur ! Qu’il me donne le pouvoir de le secourir et d’alléger son chagrin ! Je suis prêt à tout sacrifier pour lui. » Je pense ensuite à mon joujou favori, un petit lièvre ou un petit chien de porcelaine ; je l’ai fourré sous mon oreiller de plume et j’admire comme il est bien là et comme il a chaud.

Je fais encore une petite prière où je demande à Dieu que tout le monde soit heureux et content et qu’il fasse beau demain pour la promenade ; je me retourne sur l’autre côté ; les idées et les rêves se mêlent et se confondent et je m’endors doucement, paisiblement, le visage encore humide de larmes.

Retrouveras-tu jamais la fraîcheur, l’insouciance, le besoin d’affection et la foi profonde de ton enfance ? Quel temps peut être meilleur que celui où les deux premières de toutes les vertus, la gaieté innocente et la soif insatiable d’affection, étaient les deux ressorts de ta vie ?

Où sont ces prières ardentes ? Où, ces précieuses larmes d’attendrissement ? L’ange de la consolation accourait ; il essuyait tes larmes avec un sourire et murmurait de doux rêves à l’imagination innocente de l’enfant.

La vie a-t-elle piétiné si lourdement sur mon cœur, que je ne doive plus jamais connaître ces larmes et ces transports ? Ne m’en reste-t-il que les souvenirs ?


XII

LES VERS


Environ un mois après notre arrivée à Moscou, j’étais assis à une grande table, au deuxième étage de la maison de notre grand’mère, et j’écrivais. En face de moi, le maître de dessin achevait de corriger une tête de Turc avec un turban, à la mine de plomb. Volodia, debout derrière le maître, avançait la tête par-dessus son épaule et