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pommade à la rose de ses cheveux, mais je n’éprouve pas la moindre émotion.

En somme, je commence à me corriger de mes défauts d’adolescent, sauf pourtant du principal, qui me fera encore beaucoup de mal dans ma vie : la rage de raisonner.


XLIV

LES AMIS DE VOLODIA


Lorsque je me trouvais avec les amis de Volodia, je ne jouais qu’un rôle humiliant pour mon amour-propre. Néanmoins, j’aimais à être dans la chambre de mon frère quand il avait du monde. Je m’asseyais et j’observais tout sans rien dire. Ses visiteurs les plus fréquents étaient l’adjudant Doubkof et le prince Nékhlioudof, étudiant. Doubkof était un petit brun musculeux, qui avait les jambes trop courtes et n’était plus de la première jeunesse, mais point laid et toujours gai. C’était un de ces individus bornés qui plaisent justement parce qu’ils sont bornés. Ne voyant jamais qu’un côté des choses, ils sont perpétuellement entraînés. Leurs jugements sont exclusifs et faux, mais toujours sincères et séduisants. Il n’est pas jusqu’à leur égoïsme étroit qui ne paraisse aimable et ne sache se faire pardonner. Doubkof possédait en outre, à nos yeux, un double charme : l’air militaire, et la taille, que les très jeunes gens, on ne sait pourquoi, confondent avec ce « comme il faut » auquel on attache tant de prix à leur âge. Au surplus, Doubkof était réellement ce qu’on appelle « un homme comme il faut ». Une seule chose m’était désagréable : quand il était là, Volodia avait l’air honteux de mes actions les plus innocentes et surtout de ma jeunesse.

Nékhlioudof était laid : un homme ne peut pas être beau avec de tout petits yeux gris, un front bas, des jambes et