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et vous contraint à suivre ses moindres gestes avec une attention inquiète. Tel était le sentiment que j’éprouvais pour Saint-Jérôme.

Il m’était horriblement pénible d’avoir avec lui un rapport quelconque.


XXXVII

LA CHAMBRE DES SERVANTES


Je me sentais de plus en plus isolé et mon principal plaisir consistait en rêvasseries solitaires. Je parlerai dans le chapitre suivant de leurs sujets. Elles avaient pour théâtre préféré la chambre des servantes, où se déroulait un roman qui m’intéressait et m’émouvait au plus haut degré. Il va sans dire que l’héroïne de ce roman était Macha. Elle était éprise de Vassili, qui l’avait connue avant qu’elle fût chez nous et lui avait promis à cette époque de l’épouser. Le sort les avait réunis de nouveau, après une séparation de cinq années, dans la maison de ma grand’mère, mais c’était pour opposer un obstacle à leur passion mutuelle en la personne de Kolia, le propre oncle de Macha. Kolia ne voulait pas entendre parler d’un mariage entre sa nièce et Vassili, qu’il traitait d’homme sans bon sens et effréné.

L’effet de son opposition fut que Vassili, jusque-là assez froid et peu empressé, s’enflamma tout à coup pour Macha comme est seul capable de s’enflammer un tailleur serf, à chemise rose et à cheveux pommadés.

Les manifestations de cet amour étaient extrêmement bizarres et sottes. Par exemple, lorsqu’il rencontrait Macha, il tâchait toujours de lui faire du mal : il la pinçait, il lui donnait une claque, il la serrait si fort qu’elle manquait d’étouffer. Sa passion n’en était pas moins sincère et il le