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je tirai la clef, et, ô horreur ! le bout me resta dans la main ! Je m’efforçai en vain de le rajuster à la moitié demeurée dans le cadenas et de faire sortir cette dernière par la vertu d’un sortilège quelconque : il fallut m’habituer à l’affreuse pensée que j’avais commis un nouveau crime, qui serait découvert quand papa rentrerait dans son cabinet.

L’affaire de Mimi, le 1 et la petite clef, il ne pouvait plus rien m’arriver de pis. Grand’mère pour l’affaire de Mimi, Saint-Jérôme pour le 1, papa pour la petite clef…, et tout ça tombera sur moi pas plus tard que ce soir !

« Qu’est-ce que je vais devenir ? A-a-a-ah ! qu’ai-je fait ? m’écriai-je à haute voix en allant et venant sur le tapis moelleux du cabinet. Eh ! dis-je en moi-même en cherchant les bonbons et les cigares, on n’évite pas sa destinée… ! » Je revins en courant.

Cette sentence fataliste, que j’avais entendu répéter, dans mon enfance, à Kolia, exerçait sur moi, à toutes les minutes difficiles de ma vie, une influence bienfaisante et calmante. En rentrant dans la salle à manger, je me trouvais dans un état d’âme un peu troublé et pas très naturel, mais parfaitement gai.


XXXIII

LA PERFIDE


Après le dîner commencèrent les « petits jeux » et j’y pris une part active. En jouant au chat et à la souris, je marchai sans le faire exprès, par maladresse, sur la robe de la gouvernante des Kornakof, qui jouait avec nous, et je la déchirai. Je remarquai que toutes les filles, et Sonia en particulier, étaient ravies de l’air contrarié avec lequel la gouvernante alla recoudre sa robe dans la chambre des