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Alors Matréma éclata :

— Bien sûr qu’il me reste quelque chose : mais te le donner ! Ah ! non, certes. Un homme qui a bu à ne plus savoir où est sa tête, qui s’en est allé pour acheter une pelisse et qui revient sans kaftan, amenant un vagabond chez lui ! Non, certes, je ne donnerai pas à souper à des fainéants et à des ivrognes de votre espèce.

— Cesse ton caquet, stupide femme, ta langue va trop vite. Tu devrais t’informer d’abord…

— D’abord je veux savoir ce que tu as fait de notre argent.

Sema porta la main à sa poche et en retira le billet de trois roubles, qu’il tendit à sa femme.

— Voilà, dit-il. Trifouan ne m’a rien donné ; il m’a promis de payer demain.

Ces mots, loin de calmer la terrible femme, provoquèrent une nouvelle explosion de colère.

— Point de pelisse ! Mon kaftan sur le corps d’un va-nu-pieds ! Un vagabond au logis ! cria-t-elle en saisissant furieusement les billets, qu’elle serra aussitôt en lieu sûr, sa langue allant toujours. Non, il n’y a rien ici pour