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RÉSURRECTION

Le président laissa de nouveau retomber sa tête et, s’accoudant sur la table, plaça ses mains devant ses yeux. Le marchand jovial, assis près de Nekhludov, faisait de vigoureux efforts pour échapper au sommeil, et, de temps à autre, baissait la tête en avant, d’un mouvement brusque ; les prévenus eux-mêmes et les gendarmes qui les gardaient se tenaient immobiles, envahis d’une somnolence.

L’examen intérieur du cadavre avait montré que :

1o La peau de l’enveloppe du crâne était légèrement séparée des os, sans qu’il y eût aucune trace d’hémorragie ;

2o Les os du crâne étaient de dimension normale, et intacts ;

3o Sur l’enveloppe du cerveau se voyaient deux petites taches, d’environ quatre pouces, etc., etc… Il y avait encore treize autres points du même genre.

Suivaient les noms des témoins de l’enquête, leurs signatures, et enfin les conclusions du médecin-expert, déclarant que, des changements produits dans l’estomac, les intestins, et les reins du marchand Smielkov, on pouvait inférer, suivant toute vraisemblance, que Smielkov était mort de l’absorption d’un poison, avalé par lui en même temps que de l’eau-de-vie. Quant à dire exactement le nom du poison, cela était impossible ; et, quant à l’hypothèse que le poison avait été absorbé en même temps que l’eau-de-vie, cette hypothèse se fondait sur la grande quantité d’eau-de-vie contenue dans l’estomac du marchand.

— Hé ! on voit qu’il buvait ferme ! — murmura de nouveau à l’oreille de Nekhludov son voisin le marchand, soudain réveillé.

La lecture de ces procès-verbaux avait duré près d’une heure ; mais le substitut du procureur était insatiable. Quand le greffier eut fini de lire les conclusions du médecin-expert, le président dit, en se tournant vers le substitut :

— Je crois qu’il n’y a pas d’utilité à lire les résultats de l’analyse des viscères !