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fous qui se tenaient pour sages et toléraient une telle vie.

Après avoir longtemps marché, il se jeta sur le divan ; et, machinalement, il ouvrit un des petits évangiles de l’Anglais, que celui-ci lui avait donné, et qu’il avait déposé sur la table en vidant les poches de sa pelisse.

« Il y a des gens qui prétendent qu’on peut trouver là-dedans une réponse à tout », songeait-il, en ouvrant le petit livre, au hasard des pages. Et il lut. Il était tombé sur un chapitre de l’évangile de saint Mathieu, le chapitre XVIII.

1. En ce temps-là, les disciples vinrent à Jésus et lui dirent : « Qui est le plus grand dans le royaume des cieux ? »

2. Or Jésus, ayant appelé un enfant, le mit au milieu d’eux, et dit :

3. « Je vous le dis en vérité, si vous ne changez, et si vous ne devenez petits comme des enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux.

4. « Celui-là donc qui se fera petit comme cet enfant, celui-là sera le plus grand dans le royaume des cieux. »

— Oui, c’est bien ainsi ! — se dit Nekhludov en se rappelant comment lui-même n’avait goûté la paix et la joie de la vie que dans la mesure où il s’était fait petit, où il avait été pareil à un enfant.

Et il lut ensuite :

5. « Et celui qui recevra un tel enfant en mon nom, c’est moi qu’il recevra.

6. « Mais si quelqu’un scandalise un de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attachât au cou une grosse meule et qu’on le jetât au fond de la mer. »

Nekhludov cessa de lire : « Que peut bien vouloir dire celui qui recevra ? et aussi : en mon nom ? » se demanda-t-il, sentant que ces paroles n’avaient aucune signification pour lui. « Et que viennent faire ici cette meule au cou, et ce fond de la mer ? Non, tout cela n’est point pour moi ! Cela n’est pas clair, cela n’a pas de sens ! »