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l’autre. Dieu réglera nos comptes ! — reprit Nekhludov.

— Oui, oui, c’est cela, Dieu nous voit ! — murmura-t-elle.

Are you ready ? (Êtes-vous prêt ?) — demanda l’Anglais.

— Tout de suite ! — répondit Nekhludov. Puis, s’efforcant de contenir son angoisse, il interrogea Katucha sur la santé de Kriltzov.

Katucha, elle aussi, s’était ressaisie. D’un ton presque tranquille, elle dit ce qu’elle savait : que Kriltzov avait beaucoup souffert dans le trajet, et que, dès l’arrivée, il avait été envoyé à l’infirmerie. Marie Pavlovna avait demandé la permission de le soigner, mais on lui avait répondu que c’était impossible.

— Et maintenant je vais retourner là-bas ! — ajouta-t-elle, en voyant que l’Anglais s’impatientait.

— Ne nous disons pas encore adieu, je vous reverrai ! — dit Nekhludov en lui tendant la main.

— Non, adieu, adieu ! — lui répondit Katucha d’un ton résolu.

Et alors leurs yeux se rencontrèrent : et dans le regard des yeux un peu louches de Katucha, dans son triste sourire, dans la façon dont elle dit le mot adieu, Nekhludov comprit clairement que, des deux explications possibles de sa conduite, c’était la seconde qui seule était vraie. Il comprit qu’elle l’aimait, que de tout son cœur elle l’aimait, comme le soir où il l’avait embrassée au sortir de l’église. Et il comprit qu’elle s’était dit qu’en se mariant avec lui elle lui imposerait un sacrifice, elle perdrait sa vie : tandis qu’en se mariant avec Simonson elle le délivrait.

Elle serra la main qu’il lui tendait, se retourna brusquement, et sortit.


L’Anglais aurait voulu procéder de suite à la visite des salles. Mais en voyant l’émotion qui faisait trembler les mains de Nekhludov, il eut un scrupule et fit mine de devoir d’abord noter certains détails dans son carnet de poche. Nekhludov s’assit sur un banc de bois, à