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tique qu’elle lui avait procurée, il s’était levé pour pendre congé, lorsque la fille du gouverneur s’approcha de lui et lui dit, en rougissant :

— Vous avez eu la bonté de vous intéresser à mes enfants ; voulez-vous les voir ?

— Elle s’imagine que c’est un grand bonheur pour tout le monde de voir ses enfants ! — dit la mère, avec un sourire indulgent pour le manque de tact de sa fille. — Le prince n’a aucune envie de les voir.

— Mais pardon ! au contraire, j’en serai très heureux ! — protesta Nekhludov, profondément touché de ce rayonnement d’amour maternel. — Au contraire, je vous supplie de me les laisser voir !

— Elle emmène le prince pour lui faire admirer ses moutards ! — s’écria en riant le gouverneur, du fond du salon, où il était occupé à jouer au whist avec son gendre et le possesseur de mines d’or. — Allons, mon ami, acquittez-vous, de cette corvée !


Cependant la jeune femme, visiblement émue à la pensée qu’on allait porter un jugement sur ses enfants, sortit en hâte du salon, entraînant Nekhludov derrière elle. Dans une grande chambre toute tendue de blanc, et éclairée d’une lampe dont un abat-jour sombre adoucissait la lumière, deux petits lits d’enfant étaient dressés côte à côte ; et près deux se tenait assise une nourrice en pèlerine blanche, avec une bonne grosse figure de Sibérienne. Elle se leva pour saluer sa maîtresse.

La jeune mère, aussitôt entrée, se pencha sur l’un des lits.

— Ceci, c’est ma Katia ! — dit-elle, en écartant le rideau pour laisser voir le charmant visage aux longs cheveux d’une petite fille de deux ans, qui dormait tranquillement, la bouche ouverte. — Elle est jolie, n’est-ce pas ? Et pensez qu’elle n’a que deux ans !

— Délicieuse !

— Et voici Vaska, comme l’appelle son grand’père ! Un tout autre type ! Un vrai Sibérien ! n’est-ce pas ?