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concerne un condamné politique qui fait partie du même convoi.

— Ah ! bah ! — dit le gouverneur, avec un signe de tête aimablement grondeur.

— Ce malheureux est très malade, il est mourant. On va sans doute le laisser ici à l’infirmerie. Et une de ses compagnes, une condamnée politique, voudrait avoir la permission de rester prés de lui.

— Elle n’est pas sa parente ?

— Non, mais elle est prête à se marier avec lui, si elle peut, à ce prix, obtenir l’autorisation de lui tenir compagnie.

Le Gouverneur, sans rien dire, continuait à considérer Nekhludov de ses yeux brillants, comme s’il avait cherché à l’intimider par la force de son regard. Quand Nekhludov se tut, attendant sa réponse, il se leva de son fauteuil, alla prendre un livre dans sa bibliothèque, le feuilleta rapidement, et passa quelques minutes à y lire un passage qu’il suivait du doigt.

— Cette femme, à quoi est-elle condamnée ? — demanda-t-il enfin en relevant les yeux.

— Aux travaux forcés.

— Eh ! bien, la situation du condamné ne serait nullement modifiée par l’effet de son mariage.

— Mais, c’est que…

— Permettez ! Si même cette femme se mariait avec un homme libre, elle devrait continuer à subir sa peine. La question est de savoir si c’est elle ou lui qui est condamné à la peine la plus forte ?

— Tous deux sont condamnés à la même peine, les travaux forcés à perpétuité.

— Eh bien, voilà une affaire réglée ! — dit en souriant le gouverneur. — Leur mariage ne saurait rien changer, ni pour lui ni pour elle. Lui, s’il est malade, on pourra le garder ici, et, naturellement, on fera tout ce qui sera possible pour améliorer son état ; mais elle, si même elle se mariait avec lui, elle serait forcée de suivre le convoi…

— La générale est levée et vient de descendre pour le déjeuner ! — annonça le valet de chambre.