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CHAPITRE X


Devant la porte des chambres réservées aux condamnés politiques, le gardien qui avait accompagné Nekhludov le quitta, en lui promettant de venir le chercher au moment du couvre-feu. À peine s’était-il éloigné que Nekhludov vit accourir vers lui, aussi vite que le lui permettait la chaîne qu’il traînait au pied, un forçat qui, se penchant à son oreille, lui dit, d’un air mystérieux :

— Il faut que vous interveniez, barine ! Ils ont tout à fait entortillé le petit. Ils l’ont soûlé. Aujourd’hui déjà, à l’appel, il s’est présenté sous le nom de Karmanov. Vous seul pouvez intervenir ! Nous, si nous essayions, ils nous tueraient !

Et, après avoir rapidement murmuré ces paroles en lançant autour de lui des regards effrayés, le forçat s’enfuit, se perdit dans la foule qui remplissait le corridor.

L’affaire dont il parlait consistait en ceci : un forçat nommé Karmanov avait décidé un jeune déporté, qui lui ressemblait de visage, à changer de nom avec lui, de telle sorte que c’était le forçat qui allait subir la déportation, et seulement pendant deux ans, tandis que le jeune garçon le remplacerait au bagne, sa vie durant.

Déjà, la semaine précédente, le même prisonnier avait prévenu Nekhludov des préparatifs de cette substitution, en lui demandant d’intervenir, s’il le pouvait, pour empêcher un crime aussi monstrueux. Ce prisonnier