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RÉSURRECTION

et ses cheveux noirs, agit évidemment sur l’officier, qui avait déjà remarqué la jeune fille l’instant d’auparavant. Il la regarda encore, puis baissa les yeux d’un air gêné.

— Cela m’est égal, portez-la tant que vous voudrez ! Vous avez beau jeu, vous autres, à plaindre ces misérables. S’ils se sauvent, ce n’est pas vous qui aurez à en répondre !

— Comment voulez-vous qu’on se sauve, avec un enfant dans les bras ? — demanda Marie Pavlovna.

— Je n’ai pas à discuter avec vous ! Prenez l’enfant, si vous voulez, et en route !

— Puis-je donner l’enfant ? — demanda le gardien.

— Oui ! et plus vite que ça !

— Viens sur mon bras ! — dit Marie Pavlovna à l’enfant, en essayant de la prendre des mains du gardien.

Mais la petite fille ne voulait pas aller sur d’autres bras que ceux de son père. Elle continuait à se débattre et à pousser des cris.

— Attendez, Marie Pavlovna ! Moi, elle me connaît, et peut-être consentira-t-elle à ce que je la prenne ! — dit la Maslova, en tirant de son sac le petit pain blanc.

L’enfant, en effet, connaissait la Maslova, Dès qu’elle l’aperçut, elle cessa de crier et se laissa prendre.

Il y eut de nouveau un silence. Les portes de la cour s’ouvrirent, le convoi sortit et, devant les portes, se mit en rangs. On compta, une seconde fois, les prisonniers. La Maslova, tenant l’enfant sur son bras, échangea quelques mots avec Fédosia, placée à quelques rangs devant elle.


Soudain Simonson, qui avait assisté sans rien dire à toute la scène, s’avança, d’un pas décidé, vers l’officier, déjà installé dans sa voiture.

— Vous avez mal agi, Monsieur l’officier ! — lui dit Simonson.

— Rejoignez votre rang ! Ce n’est pas votre affaire !

— Mon affaire est de vous dire ce qui est ; et je vous répète que vous avez mal agi ! — reprit Simonson, en regardant fixement l’officier sous ses épais sourcils noirs