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RÉSURRECTION

ludov s’arrêta devant ce groupe, et aussitôt le vieillard, après avoir relevé les pans de sa blouse, qui traînaient sur le banc, lui dit, d’une voix engageante :

— Je vous en prie, asseyez-vous !

Nekhludov le remercie et s’assit près de lui. La paysanne, après s’être tue un moment, reprit le récit qu’elle venait d’interrompre. Elle racontait la façon dont elle avait été reçue, en ville, par son mari, à qui elle était allée tenir compagnie pendant quelques semaines.

— Je suis arrivée le samedi saint, et maintenant voici que je m’en retourne au village ! — disait-elle. — À la Noël, si Dieu le permet, nous nous reverrons de nouveau !

— Voilà qui est heureux ! — fit le vieillard en se retournant vers Nekhludov. — C’est fort heureux qu’ils puissent se revoir de temps à autre, car sans cela, jeune comme il est et vivant seul en ville, le mari courrait bien des risques de se débaucher.

— Oh ! mon petit père, mon mari n’est pas de cette espèce-là ! Ce n’est pas lui qui fera jamais des bêtises ! Il est innocent et doux comme une jeune fille ! Tout son argent, jusqu’au dernier sou, il l’envoie au pays. Et de voir sa fille, ce qu’il en a eu de bonheur, impossible de vous dire ce qu’il en a eu de bonheur !

La petite fille, qui écoutait l’entretien sans cesser de balancer les jambes et de remuer les lèvres, promena sur le vieillard et sur Nekhludov ses calmes yeux bleus, comme pour confirmer les paroles de sa mère.

— Il est sage, et Dieu le récompensera ! — reprit le vieillard. — Et cela non plus, il ne l’aime pas ? — ajouta-t-il en désignant des yeux un couple d’ouvriers assis de l’autre côté du couloir. Le mari, renversant la tête en arrière, avait approché de ses lèvres une bouteille d’eau-de-vie et buvait à grosses gorgées, pendant que sa femme le regardait faire, tenant en main le sac d’où elle venait de tirer la bouteille.

— Non, mon homme ne boit jamais ! — répondit la paysanne, heureuse d’avoir une nouvelle occasion de faire l’éloge de son mari. — Des hommes comme lui,