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CHAPITRE X


I


Nekhludov avait encore deux heures à attendre jusqu’au départ du train qui devait le conduire à Nijni-Novgorod. La pensée lui vint tout d’abord de profiter de ce temps pour aller revoir sa sœur ; mais les impressions de la matinée l’avaient tant ému et fatigué qu’il ne se sentait plus la force de bouger. Il entra dans la salle d’attente, s’assit sur un canapé, et là, au bout d’un instant, il s’endormit, la tête appuyée sur un coussin.

Il dormait depuis plus d’une heure lorsqu’un bruit de chaises le réveilla en sursaut.

Il se redressa, se frotta les yeux, se rappela où il était, et revit les scènes diverses auxquelles il venait d’assister.

Il revit le convoi des déportés, les deux hommes morts, les wagons aux fenêtres grillées, et les femmes enfermées dans ces wagons, et le triste sourire que lui avait adressé Katucha à travers les barreaux. Le spectacle qu’il avait en face de lui était bien différent de ces souvenirs : une table chargée de bouteilles, de vases, de flambeaux et de fleurs, des garçons en habit sommeillant autour de la table, et, dans le fond de la salle, devant un comptoir également encombré de bouteilles et de vases, des dos de voyageurs achetant des provisions.

Quand il eut achevé de reprendre ses sens, Nekhludov observa que toutes les personnes assises dans la salle considéraient avec curiosité quelque chose qui était en train de se passer devant la porte d’entrée. Tournant les yeux de ce côté, il vit un groupe d’hommes qui portaient sur une chaise une dame toute couverte de châles.