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RÉSURRECTION

soldat, rebroussa chemin dans la direction du poste de police. Le sergent de ville, dans la voiture, essayait vainement de redresser la tête du détenu, qui retombait aussitôt sur l’une des épaules. Nekhludov, à pied, suivit la voiture.


III


Dès que la voiture se fut arrêtée devant la porte du poste de police, plusieurs sergents de ville l’entourèrent et empoignèrent par les bras et les jambes le détenu, qui était mort durant le trajet. Dix minutes après, quand Nekhludov arriva, on était en train de monter le cadavre à l’infirmerie.

Celle-ci était une petite pièce malpropre, meublée de quatre lits, sur deux desquels des malades se trouvaient couchés : un phtisique, et un homme qui avait la tête et le cou bandés. Sur l’un des deux autres lits on déposa le mort. Un petit homme, avec des yeux brillants, et des sourcils sans cesse en mouvement, d’un pas rapide s’approcha du lit, examina le mort, puis Nekhludov, et éclata de rire. C’était un fou, gardé là en attendant d’être transféré dans une maison de santé.

— Ils veulent me faire peur ! — dit-il. — Mais non, ils n’y parviendront pas !

Après un instant, Nekhludov vit entrer un officier de paix et un infirmier.

L’infirmier, s’approchant à son tour du lit, saisit la main jaune, encore tiède et molle, du mort, la souleva et la laissa retomber.

— Il a son compte ! — déclara-t-il avec un signe de tête ; ce qui ne l’empêcha pas, pour se conformer au règlement, de mettre à nu la poitrine, encore mouillée, du mort et d’y appliquer scrupuleusement son oreille. Tous se taisaient. L’infirmier se redressa, fit de nouveau un signe de tête et, l’une après l’autre, ramena les deux paupières sur les yeux bleus du mort, restés grands ouverts.

— Vous ne me faites pas peur, non, vous ne me faites