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RÉSURRECTION

cier de paix ordonna au sergent de ville de faire boire le détenu. Le sergent de ville releva de nouveau la tête du malheureux et s’efforça de lui verser de l’eau dans la bouche ; mais le mourant refusa d’avaler l’eau, et celle-ci se répandit sur sa barbe, mouillant sa veste et sa chemise tout imprégnée de poussière.

— Verse-lui le seau sur la tête ! — ordonna l’officier de paix.

Le sergent de ville ôta au détenu son bonnet et renversa l’eau du seau sur son crâne chauve, entouré d’épais cheveux roux.

Les yeux du malheureux s’agrandirent, comme épouvantés, mais son corps demeura immobile. Le long de son visage l’eau coulait, mêlée de poussière ; mais sa bouche continuait à pousser de pénibles soupirs, et soudain un grand frisson le secoua des pieds à la tête.

— Voici justement un fiacre ! Qu’on l’y mette ! — cria l’officier de paix, en désignant la voiture de Nekhludov. — Allons, toi, hé ! approche !

— Je ne suis pas libre ! — répondit le cocher.

— C’est mon fiacre, — dit Nekhludov, — mais vous pouvez le prendre. Je paierai pour le tout ! — ajouta-t-il en s’adressant au cocher.

— Allons, ouf ! et plus vite que ça !

Le sergent de ville, le portier et le soldat soulevèrent le mourant, le portèrent dans le fiacre, et l’installèrent sur les coussins. Mais il était hors d’état de se tenir assis : sa tête se renversa en arrière et tout son corps roula sur la banquette.

— Qu’on l’étende ! — ordonna l’officier de paix.

— Soyez tranquille, Votre Noblesse, je le conduirai comme ça ! — déclara le sergent de ville. Il s’assit dans la voiture et empoigna sous les bras le détenu, que le soldat lui allongeait les jambes.

L’officier de paix aperçut, sur le pavé, le bonnet du détenu ; il le ramassa et en coiffa la tête mouillée, qui sans cesse retombait d’une épaule sur l’autre.

— Marche ! — commanda-t-il.

Le cocher fouette son cheval et, en compagnie du