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CHAPITRE VIII


I


Le départ du convoi de forçats dont faisait partie la Maslova ayant été définitivement fixé au 5 juillet, Nekhludov résolut de partir le même jour. Il en avertit sa sœur, qui, la veille du départ de son frère, vint en ville avec son mari. La sœur de Nekhludov, Nathalie Ivanovna Ragojinska, était plus âgée que lui de dix ans et avait eu une grande influence sur son éducation. Enfant, elle l’avait beaucoup aimé ; et plus tard, jusqu’à son mariage, une parfaite égalité de sentiments et d’idées les avait encore plus fortement liés l’un à l’autre. La jeune fille était alors amoureuse de Nicolas Irtenev, l’ami et confident favori de son frère.

Puis le frère et la sœur s’étaient tous deux dépravés. Nekhludov avait été dépravé par sa vie mondaine ; sa sœur l’avait été par son mariage. Elle avait épousé un homme qu’elle aimait d’un amour tout sensuel, mais qui n’avait aucun goût pour ce que son frère et elle avaient jadis considéré comme l’idéal du bien et du beau. Et non seulement son mari n’avait aucun goût pour cet idéal, mais il était même incapable de le comprendre. Cette aspiration vers la perfection morale, ce désir de se rendre utile aux hommes, tout ce qui avait rempli le cœur de Nathalie, son mari interprétait tout cela de la seule façon qui fût à sa portée, en le mettant sur le compte d’un raffinement d’égoïsme joint à un désir maladif d’étonner et de se faire admirer.

Ragojinski était un homme sans fortune et de petite