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CHAPITRE VI


Aussitôt rentré dans la ville qu’il habitait, Nekhludov se rendit à la prison pour annoncer à la Maslova que son pourvoi avait été rejeté, et qu’elle avait à se préparer au départ pour la Sibérie. Il avait dans sa poche le recours en grâce qu’il s’apprêtait à lui faire signer.

Mais il ne comptait guère sur cette grâce, et même, — chose étrange à dire, — il avait cessé de la désirer. Sa pensée s’était déjà accoutumée à l’idée du départ pour la Sibérie, de la vie parmi les forçats et les déportés ; et il avait peine à se représenter ce qu’il ferait de lui-même et de la Maslova si le recours en grâce se trouvait adopté. Il se rappelait une phrase de l’auteur américain Thoreau disant que, dans un pays où régnait l’esclavage, le seul endroit convenant à l’honnête homme était la prison. Tout ce qu’il avait vu à Pétersbourg était bien fait pour lui remettre cette phrase en mémoire.

Le gardien de l’infirmerie, l’ayant aussitôt reconnu, vint au-devant et lui déclara que la Maslova ne se trouvait plus là.

— Et où est-elle ?

— De nouveau dans la section de femmes !

— Mais pourquoi l’y a-t-on ramenée ?

— Bah ! vous savez, Excellence, c’est une espèce comme ça ! — répondit le gardien avec un sourire méprisant. — Elle a fait des siennes avec un infirmier ! Alors le médecin chef l’a mise à la porte !

Jamais Nekhludov n’aurait cru que la Maslova, et ses propres sentiments pour elle, lui tinssent si à cœur. Mais le fait est que les paroles du gardien furent pour lui comme un coup de massue. Il éprouva un sentiment pareil à celui qu’on éprouve en recevant la nouvelle d’un