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RÉSURRECTION

— Mais oui, à ce qui me semble ! — répondit le marchand jovial.

— Nous allons vérifier, — dit l’huissier.

Il tira une liste de sa poche et se mit à appeler les noms, regardant au fur et à mesure les jurés, tantôt à travers son pince-nez, tantôt par dessus :

— Le conseiller d’Etat I. M. Nikiforov ?

— C’est moi ! — répondit le personnage représentatif qui connaissait le fond de tous les procès.

— Le colonel retraité Ivan Semenovitch Ivanov ?

— Voici ! — répondit l’homme en uniforme.

— Le marchand de la deuxième guilde Pierre Baklachov ?

— Présent ! — fit le marchand jovial, en promenant un sourire épanoui sur toute la compagnie. — Je suis prêt !

— Le capitaine de la garde, prince Dimitri Nekhludov ?

— C’est moi ! — dit Nekhludov.

L’huissier s’inclina avec un mélange de déférence et d’amabilité, comme s’il voulait par là distinguer Nekhludov du reste des jurés. Puis il poursuivit l’énumération :

— Le capitaine Georges Dimitrievitch Danchenko ? le marchand Grégoire Efimovitch Koulechov ? etc., etc.

Tous les jurés étaient présents, excepté deux.

— Et maintenant, Messieurs, prenez la peine de passer dans la salle des assises ! — dit l’huissier en montrant la porte d’un geste engageant.

Tous se mirent en mouvement et sortirent de la salle, chacun s’écartant poliment, devant la porte, pour laisser passer son collègue.

La cour d’assises était une grande salle de forme allongée, au fond de laquelle se dressait une estrade précédée de trois marches. Au milieu de l’estrade était placée une table recouverte d’un drap vert, avec des franges d’un vert plus sombre ; derrière la table se voyaient trois fauteuils, avec de hauts dossiers de chêne sculpté ; et derrière ces fauteuils pendait au mur, dans un cadre doré, un portrait aux couleurs criardes, représentant l’empereur en uniforme, le grand cordon au cou, les jambes écartées, et une main sur la garde de