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RÉSURRECTION

veux blancs : deux valets, respectueusement, l’aidaient à se défaire de son manteau et à se diriger vers l’une des armoires, où, soudain, Nekhludov le vit s’engouffrer.

Faïnitzine, cependant, ayant aperçu un de ses collègues, également en habit et en cravate blanche, courut à lui, laissant à Nekhludov tout le loisir d’examiner les autres personnes qui remplissaient la salle. Il y avait là une quinzaine d’hommes, et deux dames, dont une toute jeune, avec un lorgnon, l’autre déjà grisonnante. On devait examiner, ce jour-là, une affaire de diffamation par voie de la presse : de là venait cette affluence d’un public qui, d’ordinaire, ne se dérangeait guère pour assister aux séances de la section de cassation.

L’huissier, un bel homme rubicond, vêtu d’un imposant uniforme, s’approcha de Faïnitzine pour lui demander dans quelle affaire il allait plaider. Pendant qu’il notait sur un papier la réponse de l’avocat, la porte de l’armoire s’ouvrit, et Nékhludov en vit sortir le vieillard à l’aspect patriarcal, mais non plus en veston et en pantalon gris, comme il y était entré : il avait échangé ses vêtements habituels contre un uniforme bariolé qui lui donnait l’air d’un gigantesque oiseau.

Lui-même, d’ailleurs, était sans doute gêné de ce déguisement, car c’est presque en courant qu’il sortit de la salle.

— C’est Bé, un homme respectable ! — dit l’avocat à Nékhludov en le rejoignant. Et il se mit à lui expliquer l’affaire qu’on allait juger.

Cependant la séance ne tarda pas à s’ouvrir. Avec le reste du public, Nekhludov, pénétra dans la salle d’audience, une salle moins grande et d’une ornementation plus simple que celle de la cour d’assises où avait siégé Nekhludov, mais d’ailleurs disposée de la même façon. Même séparation entre le public et les juges ; mêmes tableaux sur les murs ; et quand l’huissier annonça : « La Cour ! » tous se levèrent pour saluer les sénateurs en grand uniforme, qui, s’asseyant devant la table, firent de leur mieux pour se donner une mine sérieuse et solennelle.