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RÉSURRECTION

Mais le mécontentement s’accrut encore, et la résistance, lorsque Nekhludov dit qu’il laisserait, dans le bureau de l’économe, un contrat signé par lui, et que les paysans devraient signer aussi.

— Signer ! Pourquoi irions-nous signer ? Comme nous travaillons maintenant, nous continuerons à travailler ! À quoi bon tout cela ? Nous ne sommes pas des greffiers, nous sommes ignorants !

— Nous ne pouvons pas consentir à cela, parce que nous n’avons pas l’habitude de ces sortes d’affaires ! Que les choses restent plutôt comme elles étaient ! Voilà ce que nous demandons ! Qu’on nous change seulement les semences ! — criaient des voix.

« Changer les semences » signifiait que, jusque-là, c’étaient les paysans eux-mêmes qui devaient fournir le grain dans les champs où ils travaillaient, et qu’ils demandaient maintenant que le grain leur fût fourni par le propriétaire.

— Ainsi, vous refusez ? Vous ne voulez pas que je vous abandonne mes terres ? — demanda Nekhludov, s’adressant à une jeune paysan à la figure luisante, vêtu d’un caftan rapiécé, et pieds nus, qui tenait dans sa main gauche sa casquette déchirée, avec le geste particulier des soldats quand leurs chefs leur commandent de se découvrir.

— Parfaitement, Excellence ! — répondit le paysan, non déshabitué encore de la discipline militaire.

— C’est donc que vous avez assez de terre ? — reprit Nekhludov.

— Quelle terre ? Nous n’avons pas de terre ! — répliqua l’ancien soldat d’un ton d’amabilité contrainte.

— N’importe ? Vous réfléchirez à ce que je vous ai dit ! — déclara Nekhludov, stupéfait.

Et il leur répéta, une fois de plus, sa proposition.

— C’est tout réfléchi ! Il en sera comme nous l’avons dit ! — répondit le vieillard édenté, la mine toujours hargneuse.

— Je resterai ici jusqu’à demain. Si vous changez d’avis, vous viendrez me le dire !