Page:Tolstoï - Résurrection, trad. Wyzewa, 1900.djvu/291

Cette page a été validée par deux contributeurs.
287
RÉSURRECTION

place que je lui avais moi-même procurée ! Mais non, elle n’a pas voulu s’humilier, elle a insulté son maître ! Est-ce que nous avons le droit d’insulter nos maîtres ? Et alors on l’a renvoyée ! Et dans une autre place, qu’elle a eue ensuite, chez un forestier, une belle place aussi, là non plus elle n’a pas voulu rester.

— Je voulais vous demander si vous aviez entendu parler de son enfant.

— Si j’en ai entendu parler ? Mais c’est ici qu’il est né ! Un beau petit garçon que c’était ! Mais très difficile ! Il ne laissait pas à sa mère un moment de repos ! Alors je l’ai fait baptiser, comme de juste ; et puis, je l’ai envoyé dans un asile. Hé ! quoi ! le petit ange, que serait-il devenu si sa mère était morte ? D’autres font autrement : ils gardent l’enfant, ne le nourrissent pas, et Dieu le reprend. Mais moi je me suis dit : Non, mieux vaut qu’il vive ! Alors, comme on avait de l’argent, je l’ai fait conduire à l’asile.

— Et savez-vous le numéro sous lequel on l’a inscrit ?

— Oui, il y avait bien un numéro. Mais le pauvre petit ange est mort tout de suite en arrivant. Elle me l’a bien dit : « J’étais à peine arrivée à l’asile qu’il est mort ! »

— Qui ça, elle ?

— Mais la femme qui a porté l’enfant ! Elle demeurait à Skorodno. C’était une femme qui faisait toute sorte de commissions de ce genre. On l’appelait Mélanie. Elle est morte à présent. Une femme bien intelligente ! Voici comment elle faisait. Quand on lui apportait un enfant, au lieu de le conduire tout de suite à l’asile, elle le gardait chez elle. Et puis elle le nourrissait ; et, quand on lui en apportait un autre, elle le gardait aussi. Elle attendait d’en avoir trois ou quatre, pour les conduire tous ensemble à l’asile. Mais l’enfant de Catherine, elle ne l’a pas gardé plus de huit jours.

— Et comment était-il ? Un bel enfant ? — demanda Nekhludov d’une voix tremblante.

— Oh ! un enfant trop beau ! Il ne pouvait pas vivre. C’était tout ton portrait ! — ajouta la vieille avec un clignement de ses petits yeux.