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RÉSURRECTION

pas eu les mêmes gestes, ni les mêmes attitudes, s’il n’avait pas été là pour en être témoin. Il sentait cela dans les attitudes et les gestes de la jeune femme en tenue de prison, et dans ceux même des deux amoureux. Il le sentait, en vérité, dans les attitudes et les gestes de tous, autour de lui, sauf dans ceux du vieillard, du phtisique, et de la belle jeune fille aux yeux bruns saillants.

L’affaire dont Vera Efremovna voulait entretenir Nekhludov ne laissait pas d’être assez compliquée. Une camarade de la jeune femme, nommée Choustov, avait été, cinq mois auparavant, arrêtée avec elle et emprisonnée, bien qu’elle ne fît partie d’aucune sous-section. On avait seulement trouvé chez elle des papiers et des livres, que ses camarades avaient mis en dépôt dans sa chambre. Et Vera Efremovna, se considérant comme responsable en partie de cet emprisonnement, désirait prier Nekhludov, « qui avait des relations », de faire tout son possible pour obtenir la mise en liberté de la Choustova.

Quant à sa propre histoire, elle raconta à Nekhludov que, après avoir achevé ses études de sage-femme, elle s’était affiliée à une section de « libérateurs du peuple », avait lu le Capital de Karl Marx, et avait pris la résolution de se consacrer tout entière au progrès de la « révolution ». Au début, tout avait parfaitement marché. On avait écrit des proclamations, fait de la propagande dans les mines ; mais un jour un des membres de la section avait été arrêté, la police avait saisi chez lui des papiers, et toute la section était en prison.

Nekhludov lui demanda qui était la belle jeune fille. C’était la fille d’un général. Affiliée depuis longtemps déjà au parti révolutionnaire, elle s’était déclarée coupable d’un coup de revolver tiré sur un gendarme. Lorsque la police s’était présentée devant l’appartement qui servait aux délibérations du parti, les membres qui se trouvaient là avaient barricadé les portes, de façon à avoir le temps de brûler ou de cacher les pièces compromettantes. Mais la police avait forcé les barricades et s’apprêtait à saisir les conspirateurs, lorsque l’un d’eux avait tiré un coup