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RÉSURRECTION

chuchotait gaiement. La jeune femme, élégamment vêtue, était une jolie blonde, de tournure distinguée ; son amoureux, un détenu, avait un beau visage aux contours arrêtés.

À quelques pas de la table, le long d’un autre mur, Nekhludov aperçut une femme en cheveux gris, habillée de noir, évidemment une mère : elle regardait de tous ses yeux un jeune phtisique, vêtu d’une veste de caoutchouc, et essayait de lui parler, mais ne pouvait y réussir, étranglée par ses larmes ; elle commençait un mot, et de nouveau s’arrêtait. Le jeune homme, gêné, pliait et froissait machinalement un papier qu’il tenait en main. Et Nekhludov vit, à côté d’eux, une charmante jeune fille en robe grise, avec une pèlerine sur les épaules. Assise tout contre la mère qui pleurait, elle s’efforçait de la consoler en la caressant doucement sur le bras. Tout était beau dans cette jeune fille, et ses longues mains blanches, et ses cheveux ondulés, coupés court, et son nez droit, et sa petite bouche ; mais le principal charme de son beau visage lui venait de ses grands yeux bruns saillants, des yeux pleins de douceur, de franchise, et de bonté.

Pendant que Nekhludov, assis près du directeur, considérait ces groupes divers avec curiosité, le petit garçon s’approcha de lui et, d’une voix toute menue, lui demanda :

— Et vous, qui attendez-vous ?

Nekhludov fut d’abord stupéfait de la question ; mais le visage réfléchi de l’enfant, avec ses yeux vivants et mobiles, le toucha, et c’est le plus sérieusement du monde qu’il lui répondit qu’il attendait une dame.

— C’est votre sœur ? — demanda le petit.

— Non, ce n’est pas ma sœur. Mais toi, avec qui es tu ici ?

— Moi, avec maman ! Elle est de la section des politiques ! — répondit l’enfant avec une visible fierté.

— Maria Pavlovna, appelez Kolia ! — dit le directeur, qui jugeait sans doute illégal l’entretien de Nekhludov avec le petit garçon.