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RÉSURRECTION

l’avait toujours connu. C’était toujours le même visage gras et vide, la même corpulence, la même mise d’une élégance exagérée. Au régiment, Maslinnikov portait un uniforme militaire d’une propreté irréprochable, coupé à la dernière mode et lui sanglant le dos et la poitrine : il portait maintenant un uniforme civil d’une propreté irréprochable, coupé à la dernière mode, serrant son gros corps et faisant saillir sa large poitrine.

La vue de Nekhludov le remplit de joie.

— À la bonne heure ! voilà qui est gentil à toi, d’être venu ! Je vais te conduire chez ma femme. Cela se trouve à merveille, j’ai précisément dix minutes à moi avant la séance. Mon chef est absent. C’est moi qui fais fonction de gouverneur ! — dit-il en se rengorgeant, avec une satisfaction qu’il ne parvenait pas à cacher.

— C’est que… je suis venu te voir pour affaire.

— Hein ? — fit Maslinnikov, en prenant tout d’un coup une mine et un ton de voix plus sévères.

— Eh bien ! voici. Dans la vieille prison du gouvernement il y a une personne à qui je m’intéresse beaucoup (au mot de « prison » le visage de Maslinnikov se fit encore plus sévère) ; et je voudrais bien avoir l’autorisation de m’entretenir avec elle ailleurs qu’au parloir commun, et en dehors des heures de visite. On m’a dit que cela dépendait de toi.

— Naturellement, et il va sans dire, mon cher, que je n’ai rien à te refuser ! — répondit le gros homme en appuyant ses deux mains sur les genoux de Nekhludov, comme pour lui montrer sa condescendance. — Et ce que tu demandes n’a pour moi rien d’impossible, car, vois-tu ? je suis calife, pour l’instant !

— Ainsi, tu peux me donner un papier qui me permette de la voir à toute heure ?

— C’est une femme ?

— Oui.

— Et qui est-elle ?

— Condamnée aux travaux forcés. Mais elle a été condamnée injustement.

Ah ! voilà bien les jurés, ils n’en font pas