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RÉSURRECTION

que je ne puis penser à changer mon train de vie aussi longtemps que le sort de la Maslova ne sera pas décidé. Tout va dépendre de ce qu’on fera d’elle, suivant qu’on lui rendra la liberté ou qu’on l’enverra en Sibérie : car, dans ce cas, j’irai avec elle ! »

Au jour fixé, Nekhludov se rendit chez l’avocat Faïnitzin. Ce personnage habitait une grande et somptueuse maison, ornée de plantes rares, avec de magnifiques rideaux aux fenêtres, et tout un ameublement cher et de mauvais goût, un de ces ameublements qu’on ne voit que chez les gens enrichis trop vite, sans effort, et par de bas moyens. Dans le salon d’attente, Nekhludov trouva une dizaine de clients qui attendaient leur tour, comme chez un dentiste, tristement assis autour des tables, et contraints à chercher quelque consolation dans la lecture de vieux journaux illustrés. Mais le secrétaire de l’avocat, qui siégeant au fond du salon devant un imposant bureau, reconnut aussitôt Nekhludov, s’avança vers lui, et lui dit qu’il allait informer son chef de son arrivée.

Au même instant, la porte du cabinet de Faïnitzin s’ouvrit, et l’on en vit sortir l’avocat lui-même, poursuivant un entretien des plus animés avec un jeune homme trapu, au visage rubicond, vêtu d’un beau costume neuf. Ses traits et ceux de Faïnitzin avaient cette expression particulière qu’on voit sur les traits d’hommes qui viennent de terminer une excellente affaire, pas très propre, mais tout à fait excellente.

— C’est votre faute, petit père ! — disait en souriant Faïnitzin.

— Je voudrais bien aller au ciel, mais mes péchés ne veulent pas me lâcher !

— C’est bon, c’est bon, vieux farceur ; on sait ce qui en est !

Et tous deux se mirent à rire, d’un air affecté.

— Ah ! prince, donnez-vous la peine d’entrer !… dit Faïnitzin en apercevant Nekhludov ; et il l’introduisit dans son cabinet de travail, qui, au contraire du salon, était d’une décoration éminemment austère.

— Ne vous gênez pas, je vous en prie, fumez à votre