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RÉSURRECTION

tempes, et une verrue, toute couverte de poils, au milieu de la joue ; d’ailleurs, grande, robuste, et solidement bâtie. Cette vieille avait été condamnée à la prison pour avoir tué son mari, qu’elle avait un jour trouvé débauchant sa fille. Elle était la doyenne de la salle, et c’était elle qui avait le privilège de vendre de l’eau-de-vie. En ce moment, elle cousait, près de la fenêtre, tenant l’aiguille à la façon paysanne, avec trois doigts de sa forte main noire.

À côté d’elle se trouvait, également occupée à coudre, une petite femme noire, au nez camus, avec de bons petits yeux noirs toujours en mouvement. Celle-ci était une garde-barrière du chemin de fer. On l’avait condamnée à trois mois de prison parce qu’elle avait, une nuit, négligé d’agiter son drapeau au passage d’un train, et avait été ainsi cause d’un accident.

Enfin la troisième femme était Fédosia, — ou Fénitchka, comme l’appelaient ses compagnes, — toute jeune, toute blanche, toute rose, avec de clairs yeux d’enfant et deux longues nattes de cheveux blonds enroulées autour de sa petite tête. Elle était en prison pour avoir essayé d’empoisonner son mari. Et, en effet, elle avait essayé de l’empoisonner, le soir même de ses noces, sans trop savoir pourquoi. Elle avait alors à peine seize ans ; et l’homme avec qui on l’avait mariée lui était odieux. Mais, pendant les huit mois qui avaient précédé sa condamnation, non seulement elle s’était réconciliée avec son mari, elle avait même fini par en devenir amoureuse, de sorte que, au moment où on l’avait jugée, elle lui appartenait de toute son âme et de tout son corps, ce qui n’avait pas empêché le tribunal de la condamner, malgré les supplications de son mari et de ses beaux-parents, qui, durant ces huit mois, s’étaient pris pour elle d’une vraie tendresse. Bonne, gaie, toujours prête à sourire, cette Fédosia s’était trouvée la voisine de lit de la Maslova ; elle n’avait pas tardé à s’attacher à elle, et il n’y avait pas de soins ni d’égards dont elle ne la comblât.

Deux autres femmes étaient assises non loin de là, sur un lit. L’une, âgée d’une quarantaine d’années, était