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RÉSURRECTION

cet aveu de sa bassesse, tout en lui étant pénible, eut pour lui quelque chose de calmant et de consolant.

Plusieurs fois déjà, dans sa vie, il avait procédé à ce qu’il appelait des « nettoyages de conscience ». Il appelait ainsi des crises morales où, sentant comme un ralentissement et parfois même comme un arrêt de sa vie intérieure, il se décidait à balayer les ordures qui obstruaient son âme.

Au sortir de ces crises, Nekhludov ne manquait jamais de s’imposer des règles, qu’il se jurait de suivre toujours désormais. Il écrivait un journal, il recommençait une nouvelle vie, il « tournait une page », d’après son expression. Mais, toutes les fois, le contact du monde l’avait entraîné, et insensiblement il était retombé au même point, ou plus bas encore, qu’il n’avait été avant la crise.

Il avait procédé pour la première fois à un tel « nettoyage » l’été où il était venu passer ses vacances chez ses tantes. La crise avait été alors très vive, une crise d’exaltation juvénile ; et ses suites avaient duré assez longtemps. La seconde crise avait eu lieu lorsque, au moment de la guerre contre les Turcs, il avait rêvé de sacrifier sa vie et s’était fait envoyer sur le théâtre de la guerre. Mais, cette fois-là, les suites de la crise s’étaient effacées très vite. Enfin la dernière crise avait eu lieu lorsqu’il avait quitté l’armée pour se livrer tout entier à la peinture.

Jamais, depuis lors, il n’avait « nettoyé » sa conscience : et de là venait que jamais encore la différence n’avait été aussi grande entre ce que sa conscience lui ordonnait d’être et la vie qu’il menait. Il sentit cela et en fut épouvanté. L’abîme était si grand qu’il lui parut d’abord impossible à combler.

« Tu as déjà plus d’une fois essayé de te corriger et de devenir meilleur, et tu y as échoué ! — disait en lui une voix secrète. — À quoi bon recommencer une nouvelle tentative ? Et, d’ailleurs, tu n’es point seul dans ce cas, tout le monde est comme toi ! »

Mais l’être moral, l’être libre, actif, vivant, le seul être véritable qui soit en chacun de nous, cet être s’était,