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RÉSURRECTION

— Quel jeu assommant, ce tennis ! — dit Kolossov. — Le jeu de paume, de notre temps, était bien plus gai !

— Mais non, c’est que vous ne connaissez pas le tennis ! Il n’y a rien de plus follement entraînant ! — s’écria Missy.

Et Nekhludov eut l’impression qu’elle avait prononcé le mot « follement » avec une affectation insupportable.

Un débat s’engagea où prirent part aussi Michel Sergueievitch et la vieille demoiselle. Seuls le répétiteur, l’institutrice et les enfants se taisaient, et, manifestement, s’ennuyaient.

— Allons, disputez-vous une bonne fois ! — dit enfin, en riant aux éclats, le prince Korchaguine.

Sur quoi, prenant à pleine main sa serviette, il la posa toute fripée sur la table, et se leva, tandis qu’un valet de chambre s’empressait pour reculer sa chaise. Tout le monde se leva à sa suite et s’avança vers une petite table où étaient rangés des bols et des verres d’eau tiède parfumée. Les convives se rincèrent la bouche, tout en poursuivant leur discussion entre deux gorgées.

— N’est-ce pas que c’est moi qui ai raison ? — demanda Missy à Nekhludov, après avoir affirmé à Michel Sergueievitch que rien ne révélait le caractère des gens aussi bien que le jeu. Elle avait tout de suite reconnu sur le visage de son ami cette expression concentrée et sévère qui, plusieurs fois déjà, l’avait inquiétée chez lui ; et elle était résolue à en découvrir la cause.

— En vérité, je n’en sais rien : jamais encore je n’ai réfléchi à cette question, — répondit Nekhludov.

— Voulez-vous que nous montions chez maman ? — dit alors la jeune fille.

— Mais parfaitement, très volontiers ! — répondit-il en allumant une cigarette ; mais le ton de sa réponse signifiait clairement qu’il se serait fort bien dispensé de cette corvée.

Elle se tut, jeta sur lui un regard interrogateur, et son inquiétude s’accentua encore.

« On dirait vraiment que je ne suis venu ici que pour