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RÉSURRECTION

— Voyez donc l’ineptie qu’ils ont rapportée ! — dit le président à son voisin de gauche. — Ce sont les travaux forcés pour cette fille, et, très certainement elle est innocente !

— Et pourquoi serait-elle innocente ?

— Mais cela saute aux yeux ! À mon avis, il y a lieu d’appliquer l’article 817.

L’article 817 déclare que le tribunal a le droit de modifier la décision du jury, s’il la juge mal fondée.

— Et vous, qu’en pensez-vous ? — demanda le président à son autre voisin.

— Peut-être devrions-nous, en effet, appliquer l’article 817 ? — dit le juge aux bons yeux.

— Et vous ? — demanda le président au juge grognon.

— J’estime que pour rien au monde nous ne devons le faire ! — répondit ce magistrat d’un ton résolu. — On se plaint déjà suffisamment de ce que les jurés acquittent les coupables : que dirait-on si le tribunal se mettait à renchérir sur eux ? Pour rien au monde je ne puis y consentir !

Le président tira sa montre.

— Je suis désolé, mais qu’y faire ? — songea-t-il ; et il remit les réponses au président du jury, afin que celui-ci en donnât lecture.

Aussitôt tous les jurés se levèrent ; et leur président, se balançant d’une jambe sur l’autre, lut à haute voix les questions et les réponses. Le greffier, les avocats, le procureur lui-même ne purent cacher leur stupéfaction. Seuls les prévenus restaient immobiles sur leur banc, ne comprenant pas le sens de ces réponses.

Puis les jurés se rassirent. Le président, se tournant vers le substitut, lui demanda quelles peines il proposait d’appliquer aux prévenus.

Le substitut, enchanté de la sévérité du jury à l’égard de la Maslova, qu’il attribuait uniquement à son éloquence, se rengorgea, fit mine de réfléchir, et dit :

— Pour Simon Kartymkine, je demande l’application de l’article 1452 ; pour Euphémie Botchkov, l’applica-