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— Eh bien, vous pourriez trouver une place de cuisinière — lui dis-je.

Cette idée me vint, parce que c’était une forte femme blonde, au visage rond, à l’air bon et bête. Les cuisinières sont presque toujours ainsi. Évidemment mes paroles ne lui plaisaient pas.

— Cuisinière ! mais je ne sais même pas cuire des poires, me dit-elle en souriant. Elle disait qu’elle ne savait pas, mais je vis sur sa figure qu’elle ne voulait pas être cuisinière et qu’elle regardait la profession de cuisinière comme inférieure.

Cette femme, comme la veuve de l’Évangile, ayant spontanément sacrifié tout ce qu’elle avait pour la malade, considérait en même temps, comme toutes ses pareilles, l’état d’ouvrière comme bas et digne de mépris. Elle n’avait pas été élevée pour travailler, mais pour mener cette vie, qui paraissait naturelle à ceux qui l’entouraient.

Voilà son malheur. Par là, elle était tombée dans la position actuelle et y était retenue. Par cela même, elle devait vivre au caboulot.

Qui donc, parmi nous — hommes et femmes — modifiera sa fausse manière d’envisager la