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et boivent bien et ne se bornent pas à du foie, du hareng et du pain ; ils n’en sont pas pour cela moins malheureux. Eux aussi, sont mécontents de leur position, regrettent le passé et désirent ce qu’ils n’ont pas ; et cette position meilleure qu’ils ont en vue est la même que celle après laquelle soupirent les habitants de la maison Rjanof ; c’est une situation dans laquelle ils pourraient moins travailler et profiter davantage du travail d’autrui. Il n’y a de différence que dans le degré et dans le temps.

Si j’y avais pensé, j’aurais pu comprendre cela ; mais je n’avais pas réfléchi, et je questionnais ces gens et inscrivais leurs noms, me proposant de les assister, après avoir appris le détail de leur position et de leurs besoins. Je ne comprenais pas alors qu’il n’y a qu’un seul moyen d’assister de tels hommes, c’est de changer leur manière de voir. Et pour changer la manière de voir de son prochain, il faut connaître le meilleur mode d’envisager les choses, et vivre selon ses principes ; tandis que moi je vivais et j’envisageais les choses sous ce même point de vue qu’il fallait justement changer pour que ces gens cessassent d’être malheureux.

Je ne voyais pas que ces individus étaient