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prouver que l’union de la beauté et de la bonté était inhérente à la nature des choses, que la beauté coïncidait nécessairement avec la bonté, et que le sens du mot kalokagathon (qui avait un sens pour les Grecs mais n’en pouvait avoir aucun pour des chrétiens) représentait le plus haut idéal de l’humanité. Sur ce malentendu s’est élevée toute l’esthétique nouvelle. Et rien n’est moins légitime, en vérité, que sa prétention à être la suite de l’esthétique des Grecs.

« Pour qui veut y regarder de près, dit Bénard dans son livre sur l’esthétique d’Aristote, la théorie du beau et celle de l’art sont tout à fait séparées dans Aristote, comme elles le sont dans Platon et chez tous leurs successeurs. » Les Grecs, — comme tout le monde, toujours et partout, — considéraient l’art comme bon seulement quand il était au service de la bonté, c’est-à-dire de ce qu’ils entendaient par la bonté. Mais le sens moral était en eux si peu développé, que la bonté et la beauté leur semblaient coïncider. Quant à une doctrine esthétique, dans le genre de celle qu’on leur attribue, jamais ils n’en ont eu le moindre soupçon, L’esthétique n’a été inventée que dans les temps modernes, et ce n’est guère que depuis Baum-