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nettement le bien du beau ; mais cela tenait simplement à leur conception morale de la vie. Ils ne se faisaient aucune idée de cette perfection supérieure de la beauté morale, non seulement distincte de la beauté artistique, mais le plus souvent opposée à elle, et qui, déjà pressentie par certains prophètes juifs, s’est trouvée pleinement exprimée dans la doctrine du Christ. Ils supposaient que le beau doit aussi, nécessairement, être le bien. Seuls, leurs grands penseurs, Socrate, Platon, Aristote, sentaient que la bonté ne coïncidait pas toujours avec la beauté. Socrate subordonnait expressément la bonté à la beauté ; Platon, pour unir les deux notions, parlait d’une beauté spirituelle ; Aristote voulait que l’art eût une influence morale. Mais, à l’exception de ces sages, tout le monde admettait la concordance absolue de la beauté et de la bonté ; et ainsi s’explique que, dans le langage des anciens Grecs, un mot composé, kaloka-gathon, ait servi à désigner cette concordance.

Ce n’était que le résultat d’une culture insuffisante, une simple confusion de deux notions très distinctes. Et ce fut précisément cette confusion que les esthéticiens de la Renaissance tentèrent d’élever au rang d’une loi. Ils se firent fort de