Page:Tolstoï - Qu’est-ce que l’art ?.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ou romain, ou même pour un artiste russe de la première moitié de notre siècle, où il y avait encore des esclaves ; car ces artistes pouvaient se croire en droit d’être servis par le peuple. Mais de nos jours, où tous les hommes ont au moins un vague sentiment de l’égalité des droits, il n’est plus possible d’admettre que le peuple continue à travailler malgré lui au profit de l’art, si l’on ne tranche pas d’abord la question de savoir jusqu’à quel point l’art est une chose assez bonne et assez importante pour racheter tout le mal dont elle est l’occasion.

Et ainsi il est nécessaire, pour une société où les arts sont cultivés, de se demander si tout ce qui a la prétention d’être un art en est un vraiment, et si (comme cela est présupposé dans notre société) tout ce qui est art est bon par là même, et digne des sacrifices que l’on fait pour lui. La question, du reste, n’est pas moins intéressante pour les artistes que pour le public : car il s’agit par eux de savoir si ce qu’ils font a vraiment l’importance que l’on croit, si ce n’est pas simplement le préjugé du petit cercle où ils vivent qui les entretient dans la fausse assurance de faire œuvre utile, et si ce qu’ils prennent aux autres hommes,