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hommes doivent être éternellement en guerre, pour la vie, pour le sol, pour l’amour, pour la femme, pour le pouvoir, pour l’or. Toute la terre avec ses fruits est « la proie du plus hardi ».

À les voir ainsi exposées sous forme scientifique, ces idées ne peuvent manquer de scandaliser. Mais en réalité elles se trouvent fatalement et implicitement contenues dans toute conception qui donne la beauté pour objet à l’art. C’est l’art de nos classes supérieures qui a produit et développé chez certains hommes cet idéal du sur-homme, encore que cet idéal ait déjà été celui de Néron, de Stenka Razine, de Gengis Khan, de Napoléon, et de tous leurs pareils, aventuriers et parvenus. Et l’on s’épouvante à imaginer ce qui arriverait si un tel idéal, et l’art qui le produit, s’ils venaient à se répandre dans la masse du peuple. Or voici qu’ils commencent à s’y répandre en effet.

Enfin le mauvais fonctionnement de l’art amène cette cinquième conséquence, que le mauvais art qui fleurit parmi nos classes supérieures les pervertit directement, au moyen de son pouvoir de contagion artistique, et renforce en elles les sentiments les plus détestables pour le bonheur des hommes, ceux de la superstition, du patriotisme, et de la sensualité.