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de la vie, n’ayant absolument d’aptitude que pour agiter, très vite, leurs jambes, leurs doigts, ou leur langue.


Et cette dégradation de la vie humaine n’est pas encore, elle-même, la pire conséquence de notre civilisation artistique. Je me rappelle avoir un jour assisté à la répétition d’un opéra, un de ces opéras nouveaux, grossiers et banals, que tous les théâtres d’Europe et d’Amérique s’empressent de monter, sauf à s’empresser ensuite de les laisser tomber à jamais dans l’oubli.

Quand j’arrivai au théâtre, le premier acte était commencé. Pour atteindre la place qu’on m’avait réservée, j’eus à passer par derrière la scène. À travers des couloirs sombres, on m’introduisit d’abord dans un vaste local où étaient disposées diverses machines servant aux changements de décor et à l’éclairage. Je vis là, dans les ténèbres et la poussière, des ouvriers travaillant sans arrêt. Un d’eux, pâle, hagard, vêtu d’une blouse sale, avec des mains sales et usées par la besogne, un malheureux évidemment épuisé de fatigue, hargneux et aigri, je l’entendis qui, en passant près de moi, grondait avec colère un de ses compagnons.