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C’est seulement quand je compris dans leur sens direct les mots : « Ne résistez pas au méchant, » que surgit en moi la question de savoir quel était l’avis de Jésus par rapport à tous ces tribunaux. Et, ayant compris qu’il devait les réprouver, je me posai la question : Ces paroles ne veulent-elles pas dire : « Non seulement ne jugez pas le prochain, ne médisez pas, mais ne le jugez pas en cours d’assises, ― ne jugez pas le prochain dans les tribunaux que vous instituez ? »

Chez Luc, chap. vi, depuis 37 jusqu’à 49, ces paroles sont dites immédiatement après la doctrine qui exhorte à ne pas résister au méchant et à rendre le bien pour le mal.

Aussitôt après les paroles : « Soyez donc pleins de miséricorde, comme votre père est plein de miséricorde, » il est dit : « Ne jugez point et vous ne serez point jugés ; ne condamnez point et vous ne serez point condamnés. »

Cela ne veut-il pas dire, en outre : « Ne jugez pas le prochain, » ― n’instituez point de tribunaux et n’y jugez pas le prochain ? Et je n’eus qu’à me poser cette question pour qu’aussitôt mon cœur et mon bon sens me répondissent affirmativement.

Pour montrer combien j’étais éloigné jadis de la vraie interprétation, je ferai l’aveu d’une sottise dont je rougis encore. Quand je lisais l’Évangile comme un livre divin, déjà à l’époque où j’étais devenu croyant, il m’arrivait, en rencontrant mes amis, les procureurs, les juges, de leur dire en manière de plaisanterie : « Et vous jugez toujours ? quoiqu’il soit dit : « Ne jugez point et vous ne serez point jugés ! » J’étais tellement certain que ces paroles ne pouvaient signifier autre