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Je ne parle pas des gens de notre condition dont la vie tout entière consiste à résister au méchant en qualité de militaires, de juges, d’administrateurs. Il n’y a pas de bourgeois si obscur qui ne se trouve dans le cas de choisir entre servir Dieu, sa loi ou le « tohu » en pratiquant les institutions de l’État. Mon existence particulière est enchevêtrée dans celle de l’État, et l’existence sociale, organisée par l’État, exige de moi une activité antichrétienne, directement contraire aux commandements de Jésus. Actuellement, avec la conscription et la participation de chacun au jury, ce dilemme se dresse devant tous, impitoyable. Chacun doit prendre l’arme meurtrière : la carabine, l’épée et même s’il ne procède pas au meutre il faut que la carabine soit chargée, le sabre affilé, c’est-à-dire qu’il doit se déclarer prêt à devenir meurtrier.

Chaque citoyen doit se rendre au tribunal et participer aux jugements, aux condamnations, c’est-à-dire que chacun doit renier le commandement de Jésus : « Ne résistez pas au méchant, » et y renoncer non seulement en parole, mais en fait.

La question du grenadier : l’Évangile ou le règlement militaire, la loi divine ou la loi humaine, est là en face de l’humanité, aujourd’hui comme du temps de Samuel. Elle s’imposait également à Jésus lui-même et à ses disciples ; elle s’impose de nos jours à ceux qui veulent être chrétiens, ― et elle était là devant moi.

La loi de Jésus, avec sa doctrine d’amour, d’humilité, de renoncement, touchait mon cœur et m’attirait maintenant comme auparavant. Mais de tous côtés dans l’histoire et dans les événements actuels, dans ma vie personnelle, je vois la loi opposée, celle que mon cœur,