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reconnaissaient dans leur for intérieur comme la vérité incontestable venue directement de Dieu, c’est-à-dire qu’ils n’aient obéi qu’à leur conscience, voilà qui est considéré comme un trait particulier aux Hébreux. Mais l’état normal, naturel à l’homme civilisé, c’est, paraît-il, d’obéir à ce qui est rédigé, au su de tout le monde, par des hommes méprisables, à des lois qu’on met en vigueur avec le concours de sergents armés de pistolets.

Le trait distinctif de l’homme civilisé, c’est d’obéir à ce qui est considéré par la plupart des gens comme inique, c’est-à-dire contraire à la conscience.

En vain je cherche dans notre monde civilisé quelques bases morales de la vie clairement formulées. Il n’y en a pas.

La conscience de leur nécessité n’existe pas. Il s’est même formé à cet égard une étrange conviction : on prétend qu’elles sont superflues ; que la religion n’est pas autre chose que certaines sentences sur la vie future, sur Dieu ; certaines cérémonies fort utiles pour le salut de l’âme selon les uns, et bonnes à rien selon les autres ; mais que la vie se fait toute seule, d’elle-même, et qu’elle n’a besoin d’aucune base ni d’aucune règle, qu’il n’y a qu’à faire ce qu’on vous ordonne.

Des deux parties substantielles de la foi, la doctrine qui règle la vie et l’explication du sens de la vie, la première est considérée comme peu importante et ne faisant pas partie de la foi ; la seconde, c’est-à-dire l’explication d’une existence qui fut jadis, ou les spéculations et les conjectures sur la marche historique de la vie, — est considérée comme la plus sérieuse et la plus importante.