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quand il y a du pain chez le riche. En Russie, il y a des millions d’hommes qui vivent sans rien posséder, uniquement par leur travail.

Un chrétien aura son existence tout aussi garantie chez les païens que chez des chrétiens. Il travaillera pour les autres ; donc il leur sera nécessaire ; c’est pourquoi il sera nourri. Un chien même, s’il est utile, est nourri et soigné ; comment ne nourrirait-on pas et ne soignerait-on pas un homme qui est nécessaire à tout le monde ?

Mais un homme malade, ou qui a famille et enfants, ne peut pas travailler ; — alors, on cessera de le nourrir, — diront ceux qui voudraient à toute force prouver la légitimité de la vie animale. Ils le diront, ils le disent ; mais ils ne voient pas qu’eux-mêmes, eux qui voudraient agir comme ils disent, ne le peuvent pas et agissent tout différemment. Ces mêmes gens, ceux qui n’admettent pas que la doctrine chrétienne soit praticable, — la pratiquent. Ils ne cessent pas de nourrir un mouton, un bœuf, un chien malade. Même une vieille rosse, ils ne la tuent pas ; mais ils lui donnent un travail mesuré à sa force. Ils nourrissent des familles d’agneaux, de pourceaux, de caniches, dans l’espoir d’en tirer parti. — Comment ne nourriraient-ils pas un homme utile quand il tombe malade, et comment ne trouveraient-ils pas du travail dans la mesure de leur force pour un vieillard et un enfant, et comment ne se feraient-ils pas éleveurs d’enfants qui travailleront plus tard pour eux ?

Non seulement ils le feront, mais ils ne font que cela. Les neuf dixièmes des hommes (le bas peuple, par exemple) sont élevés par un dixième de gens riches, comme on élève le bétail. Et quelque profondes que soient les ténè-