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tempérance. Il dit qu’en vivant sans se défendre contre la violence et sans avoir de propriété, les hommes vivront plus heureux, et il confirme ses paroles par l’exemple de sa vie. Il dit qu’un homme qui vit suivant sa doctrine doit être prêt à subir à chaque instant la violence des autres ; à mourir de faim et de froid et à ne pas compter sur une seule heure. Voilà ce qui nous paraît exiger une somme par trop grande de sacrifices ; ce n’est pourtant que l’exposé des conditions dans lesquelles l’homme existe et existera toujours.

Un disciple de Jésus doit être préparé à tout, surtout aux souffrances et à la mort. Mais le disciple du monde n’est-il pas dans la même situation ? Nous avons si fort l’habitude de nos chimères, que tout ce que nous faisons pour les soi-disant garanties de notre existence (nos armées, nos forteresses, nos approvisionnements, nos garde-robes, nos traitements médicaux, nos immeubles, notre argent) nous paraît quelque chose de stable, une garantie réelle de notre existence. Nous oublions ce qui arriva à celui qui résolut de bâtir des greniers afin de s’assurer l’abondance pour longtemps ; il mourut dans la nuit. Tout ce que nous faisons pour assurer notre existence ressemble absolument à ce que fait l’autruche quand elle s’arrête et cache sa tête pour ne pas voir comment on va la tuer. Nous faisons pis que l’autruche ; pour établir les garanties douteuses (dont nous-mêmes ne profiterons même pas) d’une vie incertaine dans un avenir qui est incertain, nous compromettons sûrement une vie certaine, dans le présent qui est certain.

L’illusion consiste dans la ferme persuasion que notre existence pourrait être garantie par la lutte avec les